Guérir?
Puis-je réparer, guérir, ou simplement vivre avec mes blessures ? Mes traumatismes, de la toute petite enfance à l’âge adulte, avec leur cortège de dissociations, fuites et blocages, de répétitions et de souffrances sont à la source de cette question
lancinante.
Lorsque les mots viennent à manquer, lorsque ce qui se passe à l’intérieur de moi devient intolérable, alors les images sont le seul moyen d’expression possible. Elles ont ce pouvoir de dire, de montrer comme un miroir ce que la raison et la conscience ne peuvent exprimer. Elles me permettent de chuchoter, de dire, de hurler parfois.
Guérir, projet photographique et textuel issu de ces questionnements, est appelé à devenir une exposition ainsi qu’une publication. Il s’agit d’un travail en cours, conçu dans un temps long et une construction progressive.
Au fondement du projet Guérir d’Olivier Jeannin, il y avait une question lancinante : ce qui a été brisé le reste-t-il pour toujours ? Le titre initial de la série, Irréparable, laissait présager une réponse douloureuse, et cependant, dans la juxtaposition des visages, paysages et objets photographiés, entre les fêlures et cicatrices visibles ou invisibles s’est tissée peu à peu une mélancolie lumineuse où l’on sent poindre un espoir précautionneux.
L’artiste s’était déjà intéressé auparavant, dans des séries comme Trashland et Park, aux objets délaissés et aux lieux abandonnés. En expérimentateur curieux et touche-à-tout, doué d’une grande virtuosité technique, il s’est également illustré par l’exploration de procédés photochimiques donnant une place de choix à l’imperfection et à l’accident (ferrotypes, tirages altérés avec des produits abrasifs ou des oxydes, travail avec des pellicules périmées…). Ici, cependant, il s’agissait d’aborder plus ouvertement la question de la fragilité, de la blessure et de la perte.
Au départ, Guérir avait été imaginé sous forme de diptyques : à une série d’objets cassés, glanés dans son quotidien, le photographe avait associé leur version réparée de manière ostentatoire, avec du scotch, de la ficelle, du gaffer… Les rafistolages, absurdes et inopérants, rendaient les objets cassés étrangement émouvants. Visuellement et esthétiquement efficaces, ces diptyques étaient aussi un brin provocateurs - il ne faut pas oublier qu’Olivier Jeannin a travaillé de nombreuses années dans le domaine du marketing et de la publicité (il a notamment marqué les esprits avec quelques campagnes détonantes pour la marque de cigarettes Fred). Ce modus operandi frontal l’a cependant assez vite laissé sur sa faim, et le voilà parti vagabonder avec l’un de ses nombreux appareils analogiques dans son environnement immédiat.
Petit à petit, en laissant la place au doute, aux détours, aux effleurements, il a ouvert son sujet et l’a laissé se déployer avec délicatesse. Abandonnant les règles premières de son jeu, il a invité l’intuition, le hasard, les rencontres et l’imprévu. De cette (photo)sensibilité accrue un chemin inattendu s’est dessiné, fait d’arbres tombés, de branches cassées, de blés couchés par l’orage, certes, mais aussi d’eaux profondes, de paysages gelés, de craquelures dans le bitume.
D’image en image, ce qui semblait de prime abord abîmé se révèle touchant, beau même, comme cette branche séchée devenant dorée sous nos regards. Un coquelicot rose pâle au milieu de ses congénères rouge vif évoque la singularité liée à la fragilité, la différence. Les longs germes colorés sortant d’un sac de jute tout comme les végétaux affleurant dans la masse opaque d’un plan d’eau nous parlent de ce qui, invisiblement, continue à vivre mystérieusement.
Dans cette cartographie de la vulnérabilité, le photographe s’est enfin approché avec pudeur de la peau humaine. À travers des portraits et des détails de corps, il interroge : les blessures les plus profondes sont-elles visibles ? Où se cachent les cicatrices indicibles – dans un regard de défi, un sourire, un tête inclinée, une esquive ? Sous la tendresse d’une peau ou dans le noir d’un tatouage ?
Au final, Olivier Jeannin semble avoir fondu toute sa maîtrise technique et artistique en une approche humble et dépouillée, visant à l’essentiel. C’est véritablement dans l’assemblage de ses images, dans leurs échos comme dans les espaces entre elles que s’esquisse et se densifie quelque chose de complexe et fugace à la fois qui ne peut se dire entièrement avec les mots, mais qui nous concerne toutes et tous : quelles sont nos brûlures, comment les portons-nous, les cachons-nous, les berçons-nous?
Et il ne s’agit plus, au fond, de savoir si l’on peut « réparer les vivants », mais plutôt d’observer comment nous trébuchons et dansons avec nos cassures, comment elles nous rendent rugueux·ses, singuliers·ères, émouvant·e·s.
« On marque l’empreinte de la brisure. On la montre. C’est la nouvelle vie qui commence. »
Jeanne Benameur, La patience des traces (Arles, Actes Sud, 2022, p. 113)
C.R
Am Anfang von Olivier Jeannins Projekt Guérir/Heilen stand eine quälende Frage: Bleibt das, was einmal zerbrochen ist, für immer zerbrochen? Der ursprüngliche Titel der Serie, Irreparabel, ließ eine schmerzhafte Antwort erwarten. Doch es enstand in der Gegenüberstellung der fotografierten Gesichter, Landschaften und Gegenständen, zwischen den sichtbaren und unsichtbaren Rissen und Narben nach und nach eine helle Melancholie, in der eine leise Hoffnung spürbar wurde.
Der Künstler hatte sich bereits zuvor in Serien wie Trashland und Park mit vernachlässigten Gegenständen und verlassenen Orten befasst. Mit Neugier und grosser Experimentierfreude und enormer technischer Virtuosität hat er fotochemische Verfahren erforscht, bei denen Unvollkommenheit und Zufälle eine wichtige Rolle spielen (Ferrotypien, mit Schleifmitteln oder Oxiden veränderte Abzüge, Arbeit mit abgelaufenem Filmmaterial usw.).
Ursprünglich war Guérir/Heilen als Diptychon konzipiert: Der Fotograf hatte eine Reihe von zerbrochenen Gegenständen aus seinem Alltag ihren demonstrativ mit Klebeband, Schnur, Gaffer usw. reparierten Versionen gegenübergestellt. Die absurden und nutzlosen Flickarbeiten ließen die zerbrochenen Gegenstände seltsam berührend erscheinen. Diese Diptychen waren visuell und ästhetisch wirksam, auch leicht provokativ - man darf nicht vergessen, dass Olivier Jeannin viele Jahre im Bereich Marketing und Werbung gearbeitet hat (er hat vor allem mit einigen radikal Kampagnen für die Zigarettenmarke Fred Eindruck hinterlassen). Diese direkte Art und Weise des Vorgehens hat ihn jedoch ziemlich rasch ausgehungert, und so ist er mit einem seiner zahlreichen analogen Geräte in seiner unmittelbaren Umgebung umhergezogen.
Nach und nach, auf Umwegen und durch Berührungen hat er sein Thema geöffnet und ihm erlaubt, sich behutsam zu entfalten. Er gab die ursprünglichen Regeln seines Spiels auf und liess die Intuition, den Zufall, die Begegnungen und das Unvorhergesehene zu. Aus dieser erhöhten (Foto-)Sensibilität hat sich ein unerwarteter Weg entwickelt, der aus umgestürzten Bäumen, abgebrochenen Ästen und vom Sturm niedergedrücktem Weizen besteht, gewiss, aber auch aus tiefen Gewässern, gefrorenen Landschaften und Rissen im Asphalt. Von Bild zu Bild erweist sich das, was auf den ersten Blick beschädigt schien, als berührend, ja sogar schön, wie dieser vertrocknete Ast, der sich vor unseren Augen golden färbt.
Eine blassrosa Mohnblume inmitten ihrer leuchtend roten Artgenossinnen erinnert an die Einzigartigkeit, die mit Zerbrechlichkeit und Andersartigkeit verbunden ist. Die langen farbigen Keime, die aus einem Jutesack hervorkommen, sowie die Pflanzen, die in der undurchsichtigen Masse eines Gewässers an die Oberfläche treten, erzählen uns von dem, was unsichtbar auf geheimnisvolle Weise weiterlebt.
In dieser Kartografie der Verletzlichkeit hat sich der Fotograf behutsam der menschlichen Haut genähert. Anhand von Porträts und Körperdetails stellt er Fragen: Sind die tiefsten Verletzungen sichtbar? Wo verstecken sich Narben, die nicht benannt werden können - in einem herausfordernden Blick, einem Lächeln, einem geneigten Kopf, einem Ausweichen? Unter der Zartheit einer Haut oder in der Schwärze einer Tätowierung?
Letztendlich scheint Olivier Jeannin sein gesamtes technisches und künstlerisches Können in einem bescheidenen und schlichten Ansatz verschmolzen zu haben, der auf das Wesentliche abzielt. In der Zusammenstellung seiner Bilder skizziert und verdichtet sich etwas Komplexes und Flüchtiges zugleich. In ihren Echos wie auch in den Zwischenräumen scheint etwas auf, das sich nicht vollständig mit Worten ausdrücken lässt, das uns aber alle betrifft: Welches sind unsere Wunden, wie tragen wir sie, wie verstecken wir sie, behüten wir sie? Im Grunde geht es nicht mehr darum, ob man “die Lebenden reparieren” kann, sondern vielmehr darum, wie wir mit unseren Brüchen stolpern und tanzen, wie sie uns rau, einzigartig und empfindsam machen.
“Wir markieren den Abdruck des Bruchs. Wir zeigen ihn. Es ist das neue Leben, das beginnt.“ Jeanne Benameur, La patience des traces (Arles, Actes Sud, 2022, S. 113)
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